Depuis que le concept de Smart city permet de redonner un coup de
jeune à la gestion publique, des villes intelligentes ne cessent de naître.
L’Union européenne même cherche à atteindre, au travers de sa stratégie Europe
2020, une économie inclusive, durable et… intelligente.
Remy PAUTRAT, en 2009, dans la Revue d’intelligence économique, met en
évidence que dans le contexte mouvant de la mondialisation et de l’accélération
du monde, l’intervention de l’Etat apparait « inadaptée et indispensable ».
Bref, l’entreprise devient « agile », le secteur public
« intelligent ». On n’ose se demander comment l’une et l’autre
agissait dans le passé. Comme l’auteur le souligne, l’intelligence « s’impose comme un aimant conceptuel et
opérationnel autorisant la rénovation, la réorganisation des actions traditionnelles
de l’État (…) ».
Quel programme cache cette
opération de marketing politique (qui n’est pas pour une ville plus
intelligente ?) ? Qu’est-ce qu’un territoire
« intelligent » ? D’après GIFFENGER (et Wikipedia), une ville
intelligente ressemble les aspects suivants : Une économie, un
environnement, des habitants, un mode de vie et une administration… intelligents.
Par hasard, les grandes
entreprises (Google, Bouygues, ErDF, Véolia, Engie…) ont lancé des campagnes de
promotion des « smart city ». Leur idée est d’utiliser le Big data
pour optimiser le fonctionnement des villes.
Une lecture positive de cette
vision « intelligente » de l’avenir implique de mettre la révolution
numérique plus largement au service des citoyens ; c’est-à-dire aller encore
plus loin que les smarts phone. In fine, les applications pratiques de
l’informatique auront des retombées économiques, appelée l’économie
intelligente. Vous connaissiez le paradoxe de Solow ? « On voit
l’effet de l’informatique partout, sauf dans les statistiques de la
productivité ». Et bien, c’est bel et bien fini ! En 2011, une
étude d’Oxford[1]
rappelait que les TIC (Technologies de l’Information et de la Communication)
représentaient 8% du PIB, 25 % de la croissance, 6% de l’emploi. Si d’ici
2020 (oh, quelle coïncidence), des efforts d’investissement dans les TIC
étaient faits, 5 % de croissance en moyenne serait à la clé. Cette même étude
précise néanmoins que l’apport des TIC dans l’économie doit être accompagné par
une harmonisation de la réglementation sur les données personnelles. Premier
caillou dans la chaussure. Le refus de Google à l’oubli numérique international
s’apparente à un échec de l’Etat de protéger ses citoyens[2]. Plus
de données, plus de rapidité, plus d’algorythmes signifient également plus
d’intelligence des usagers. Cependant, comment ses derniers peuvent-ils gagner
au jeu s’ils ne jouent pas ? Le débat reste ouvert.
Soit, l’intelligence n’est
pas que numérique, d’une part parce que les TICs ne résolvent pas l’enjeu
écologique à venir[3],
d’autre part parce que l’Etat et les collectivités savent que nous sommes des
humains, des êtres sociaux. Bref, l’intelligence c’est : numérique +
économique + environnement + social. Le développement durable 2.0.
Question. Ce concept
charrie-t-il une nouvelle révolution ? Les « villes
intelligentes » sont des espaces où la gestion publique s’adapte à son
temps. La particularité de cette nouvelle gestion publique est qu’elle implique
souvent une démarche participative auprès des citoyens, intégrant largement les
principes constitutionnels de la charte pour l’Environnement. De fait, cette
démarche permet théorique une approche nouvelle, renouvelant les idées
politiques. Une interrogation demeure : les citoyens, qui s’abstiennent de
voter massivement lors des élections, sont-ils plus impliqués lors de démarches
participatives ? Qui participe à ces appels au public ?
Le moyen a un impact.
Cette question mériterait une
réflexion plus profonde que d’autres seront mieux à même de traiter.
Gunthers Anders, L'obsolescence de l'homme
Jacques Ellul, L'ère technicienne
Jacques Ellul, L'ère technicienne
Autre question. La ville
intelligente est-elle juste et équitable ? Nombre d’articles reprennent le
concept de générations X, Y et Z qui seraient casi ontologiquement différentes
eu égard à leur usage d’Internet : la Z représentant les ado
d’aujourd’hui, les Y les jeunes adultes de 20-30 ans et les Z ceux qui ont
40-50aine. Les seniors ne sont pas concernés par cette catégorisation numérique
de la population. Une politique qui met au centre de son fonctionnement l’usage
des TICs va indubitablement renforcer une fracture numérique. Pour vous dire,
mes grands-parents ne changent plus de chaîne depuis que la TV est uniquement
sur décodeur numérique. Faut-il le rappeler, les petits vieux seront bientôt en
majorité en France et bien des jeunes retraités d’aujourd’hui peinent à
utiliser correctement les logiciels bureautiques. Cette rénovation de l’action
publique devra, pour s’épanouir, se concentrer sur l’ergonomie et
l’accompagnement des innovations.
Question finale. Pourquoi ne
parle-t-on que des « smart city »[4], des
villes intelligentes ? Où sont passés les campagnes ? Certes, les
grands centres urbains rassemblent près de 85 % de la population et des emplois[5]. Faut-il
rappeler que la plupart des territoires ruraux voient leurs services publics se
réduire progressivement à peau de chagrin ? Les mairies, les écoles, les
postes, les gares, les hôpitaux, les tribunaux, les magasins, les bars, les
exploitations agricoles, les emplois ferment.
Le problème n’est-il pas posé à l’envers ? Plus la campagne est
délaissées, plus les villes grossiront et devront être intelligentes pour gérer
la fourmilière. A-t-on oublié le principe d’égalité ? le principe de
péréquation ? Et si l’on concevait une ville et une campagne
intelligentes ? Deux mondes qui se compléteraient l’un l’autre, une vraie
politique intelligente.
[1]
“L’impact des politiques publiques sur les TIC” dans « Le dividende des TIC :
l’utilisation de la technologie pour augmenter la productivité et la croissance
dans l’UE », Oxford Economics, 2011, p.29
[2]
Référence à indiquer.
[3] Les data
centers représentaient 1,5 % de la consommation mondiale d’électricité, soit la
production de 30 centrales nucléaires. « Le cout énergétique d’Internet
équivaut à 30 centrales nucléaire », in Slate, 26/11/2012
[5]
« la ville grignotte les campagnes », in Le figaro, 19/10/2011